Faim

Le garçon faisait face à la fille.
Il avait les mains enfoncées dans les poches. La fille aussi. Ils n'étaient séparés que d'une quarantaine de centimètres qui agissaient sur eux comme un matelas d'air infranchissable. Ils avaient l'un et l'autre les pieds bien ancrés dans la terre, comme s'ils devaient lutter pour combler cet espace. Le garçon regardait la fille droit dans les yeux, comme un boxeur avant le combat, les muscles de ses mâchoires étaient tendus, pourtant il souriait. Et toujours il parlait. Un flot de paroles perdues, des choses anodines et quotidiennes : la fac, le prix de la vie, la ville, les copains. Et la fille souriait, doucement, sans quitter le garçon des yeux, Pas un instant.

Autour d'eux le bal des voitures de la place de la Nation faisait danser dans la nuit des traits de lumières blanches et rouges.

J'ai regardé encore un instant la garçon qui faisait vaillamment face à la fille, de loin, les protégeant autant que le permettait un regard bienveillant, puis j'ai poursuivi mon chemin.
On s'apprêtait à tirer les rois, les boulangeries étaient pleines de monde. Les uns derrière les autres, sans se regarder, ils attendaient pour s'offrir une galette. J'ai trouvé ce spectacle bien triste. J'ai préféré étirer le temps et continuer plus loin la promenade de mon chien, puis, allez savoir pourquoi, j'ai ressenti le besoin de repasser par la place de la Nation, là où le garçon regardait la fille et inversement.

Ils étaient encore là.
Perdus dans leur seconde d'éternité à eux, ils parlaient pour reculer le moment fatidique où ils sauraient, où le possible rencontreraient enfin le réel, à moins qu'ils ne désiraient simplement faire durer le plaisir, et continuer encore un peu à se regarder entièrement, au plus profond, et se demander si oui ou non, ils avaient envie de passer la prochaine minute ou les cent prochaines années ensemble.

A Paris, le 5 janvier 2008...

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dimanche 6 janvier 2008

Faim

Le garçon faisait face à la fille.
Il avait les mains enfoncées dans les poches. La fille aussi. Ils n'étaient séparés que d'une quarantaine de centimètres qui agissaient sur eux comme un matelas d'air infranchissable. Ils avaient l'un et l'autre les pieds bien ancrés dans la terre, comme s'ils devaient lutter pour combler cet espace. Le garçon regardait la fille droit dans les yeux, comme un boxeur avant le combat, les muscles de ses mâchoires étaient tendus, pourtant il souriait. Et toujours il parlait. Un flot de paroles perdues, des choses anodines et quotidiennes : la fac, le prix de la vie, la ville, les copains. Et la fille souriait, doucement, sans quitter le garçon des yeux, Pas un instant.

Autour d'eux le bal des voitures de la place de la Nation faisait danser dans la nuit des traits de lumières blanches et rouges.

J'ai regardé encore un instant la garçon qui faisait vaillamment face à la fille, de loin, les protégeant autant que le permettait un regard bienveillant, puis j'ai poursuivi mon chemin.
On s'apprêtait à tirer les rois, les boulangeries étaient pleines de monde. Les uns derrière les autres, sans se regarder, ils attendaient pour s'offrir une galette. J'ai trouvé ce spectacle bien triste. J'ai préféré étirer le temps et continuer plus loin la promenade de mon chien, puis, allez savoir pourquoi, j'ai ressenti le besoin de repasser par la place de la Nation, là où le garçon regardait la fille et inversement.

Ils étaient encore là.
Perdus dans leur seconde d'éternité à eux, ils parlaient pour reculer le moment fatidique où ils sauraient, où le possible rencontreraient enfin le réel, à moins qu'ils ne désiraient simplement faire durer le plaisir, et continuer encore un peu à se regarder entièrement, au plus profond, et se demander si oui ou non, ils avaient envie de passer la prochaine minute ou les cent prochaines années ensemble.

A Paris, le 5 janvier 2008...

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